samedi 4 décembre 2010

Step by step

Il est acquis pour les dessinateurs et les lecteurs passionnés que dessiner une planche est un travail assez difficile (et il en va de même pour les scénaristes, soyons fair play). Pas la mine, ok, mais cela demande du temps et de la concentration. Je me suis parfois retrouvé devant des gens qui avaient le sentiment bien ancré que les dessinateurs avait une sorte de « don », acquis visiblement à la naissance, et qu’il nous suffisait de prendre une feuille et un crayon et de pondre un dessin fini en quelques instants. Je crois que c’est ce sentiment, plus que le fait de travailler dans un medium à la réputation tenace d’être destiné aux morveux et à ceux qui n’ont pas grandi (Intéressant de constater que si on suit ce raisonnement, les enfants sont comme des adultes, mais demeurés), qui vaut aux dessinateurs le fameux (et tout à fait véridique) : « mais sinon, t’as un vrai métier ? ». Étrangement, il est arrivé aussi qu’on m’accuse d’être mythomane quand à la question « qu’est ce que tu fais dans la vie », je répondais « de la BD ». Je suis questionnement…
Non, ce n’est pas facile, et les seuls dessinateurs qui semblent avoir des « facilités » que je connais on en fait bossé comme des dingues. Et vous ne pourrez pas trainer plus d’une heure dans un atelier de dessinateurs sans entendre, venant d’une table, un chapelet de jurons plus grossier les uns que les autres, accusant abusivement le crayon, l’encre, l’ordinateur, le temps qu’il fait, voire la table, parce que ce dessin ne veut pas sortir correctement. Non, pour être tout à fait honnête, on entends surtout « Mais c’est pas vrai ! Je sais pas dessiner ou quoi !? »
Mon coté revanchard ne l’emporte pas sur le didactique, Et en fait, tout ça à un coté assez amusant.

Mais autant que les choses soit claires : Oui, je pense que la BD est un art.

Quoi qu’il en soit voilà un bref aperçu du travail sur une planche.

J’ai pris l’habitude de dessiner en marge des pages de scénarios (que ceux qui pense que je devrais écrire scenarii se rajoute également une majuscule à Art). Ici, la page 5 de Rock et Stone, par Nicolas Jean. Le plus souvent, je jette quelques croquis dès la première lecture, pour noter les premières impressions. Il arrive que ces impressions soient confirmées ou infirmées par la suite du texte, ou simplement qu’avec le recul, la première idée ne soit pas la meilleure. Mais il arrive aussi qu’elle donne une clé importante qui va donner un axe pour toute la séquence. A force de jouer à ce petit jeu des marges (une vieille habitude de l’école, semble-t-il), j’imprime désormais les pages de scénar (io ou ii, faites votre soupe) avec le texte calé sur la gauche pour avoir plus de place (je sais, on peut y déceler une parabole des relations entre auteurs, vous êtes pervers). Dans le cas ici présent, nous avions déjà longuement parlé de la séquence avec Nico, et les croquis sont déjà assez avancés.



Le board définitif : Il manque entre ces deux étapes pas mal de tâtonnements et de recherches. Je reviendrais surement plus longuement sur la phase de découpage, à mes yeux la plus importante, ou se décide simultanément la lecture (sa fluidité, et « l’art invisible » pour reprendre Scott McCloud  consistant à guider le regard du lecteur), le cadrage et la composition, la taille et l’enchevêtrement des cases, des ellipses, des bandeaux. Un casse tête passionnant. J’ai fait quelques très légers changement avec l’accord de Nico, sur le grommèlement (plus graphique) case 2, et le AH ! case 6 qui donnait plus d’immédiateté. Mais en fait, c’est toujours du travail de board. Je place également les textes pour positionner les bulles.



Après avoir discuté de ce découpage avec les gars du Zarmatelier, il s’avère qu’il serait bon d’améliorer la case 2, ce qui va en plus me permettre de guider le regard du lecteur du BAM entre la case 1 et 2, vers la bulle et le regard en haut de la case 2, et directement récupérer la case 3 par le haut de l’image.  Sur mon carnet je cherche en parallèle les attitudes de Stan (sur le croquis, recherches pour la case 5).



Le rough ci-dessus est la version mise au propre, la plus aboutie du crayonné. Ci-dessous une version rough de la case 3, que, toujours sur les conseils des potes de l’atelier, j’ai finalement redessinée. Sur cette version, j’avais un peu perdu de vue ce que devait dire la case, et l’attention se diluait.



Une fois les crayonnés terminés, je les imprime en bleu clair (le cyan disparait mieux au scan) sur un lavis technique, j’encre au pinceau et à l’encre de chine. C’est une partie assez…hum…« sensible ».



Ensuite, le lavis, ou eau sale, en diluant l’encre avec de l’eau, pour un résultat visible sur le post précédent.
Pour en revenir à l’art invisible consistant à guider le regard du lecteur, voilà ce que j’ai essayé de faire. Généralement, j'essaie d'emmener le regard vers la planche suivante dans la dernière case. Mais ici, j'ai voulu "boucler" sur le regard de Stan, plus important, et parce que l'ellipse entre cette case et la suivante sur la page d'après gagnait à être plus importante.




A la mise en couleurs (numérique), j’ai poursuivi ce travail (par exemple avec l’échelle bleue case 5), en opposant les teintes froides et chaudes, le contraste et la saturation, etc.



C'est tout pour aujourd'hui!
Stay tuned!

10 commentaires:

  1. C'est pas toi qui me disait, au détour d'une conversation, que tu t'ennuyais presque en faisant les couleurs après les lavis ? Je ne sais pas si là elles sont de toi, mais ma foi, c'est un ennui fort soigné, et qui ajoute encore à la qualité de cette foutue planche...
    Franchement, que dire de plus...
    Good job, guys !!
    Signez chez des bons, et tombez nous un dyptique qui deviendra culte !!
    (Comment ça, je m'emballe ?)

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  2. Très bonne idée ce Step by step !

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  3. Merci beaucoup tout le monde!Merci Cherry!
    Gusseuh, Non, je ne peux pas dire que je m'ennuie (bon, la séparation des couleurs, c'est vrai que c'est une tâche parfois un peu ingrate!), mais c'est surtout que j'ai la sensation d'avoir fini le boulot et dis ce que j'avais à dire quand j'ai fini le lavis.
    Un grand merci pour ton enthousiasme!

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  4. Je découvre depuis peu, mais je suis déjà sous le charme!!
    Très intéressant(le mot est faible ^^) techniquement, mais aussi en mise en scène!! (la p3 tout particulièrement que je trouve vraiment très juste et vraiment bien réalisé!)il y a de l'intensité et du détails, sans jamais aller dans le "trop" ou le "lourd" et puis ca reste très aéré (3 strip seulement!!) j'aime vraiment beaucoup le taff dans son intégralité!!

    la qualité du taff est largement proportionnel aux nuits et a la sueur passées dessus
    donc sincerement,
    chapeau bas M'ssieur!!

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  5. Bon ok, la couleur passe super bien et améliore la lecture de la planche :)
    Mais j'ai quand même une petite préférence pour le niveau de gris. En version grand format luxe peut être ? ;)

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  6. Un grand merci Mysday!

    One eye pied, puisse les dieux de la BD t'entendre...
    Mais puisqu'on est dans le domaine du rêve, mon plus grand kiffe ce serait une figurine du robot!

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  7. Salut! J'ai déjà dit sur cfsl tout le bien que je pensais de tes planches (je suis Djaboo!). Et là je trouve très rassurant ton intro traitant des soit disant facilités des dessinateurs. C'est vrai que c'est toujours agaçant quand les milliers d'heures qu'on a passées à bosser sont la plupart du temps ignorées pour au final s'entendre dire que c'est une "chance" qu'on a. Mais c'est aussi rassurant de savoir que des personnes de ton niveau ratent encore parfois des dessins : )

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  8. Maintenant, j'ai vu le post sur le forum CFSL dans lequel tu es à la recherche d'un coloriste. J'avais même pensé à essayer, même si je dois être honnête je pense que ton épreuve couleur est très beau et efficace!
    Tu as fait un travail très bon!!!!

    Salut, Barbara

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